Étienne Klein – Je ne suis pas médecin, mais je…

J’arrive après la bataille. Mais j’avais lu ce tract en mars 2021, alors qu’il a été écrit à la fin mars 2020.

C’était le début de la pandémie. Étienne Klein faisait quelques mises en garde sur les informations qui allaient sûrement circuler et le danger d’une mauvaise interprétation.

Tout d’abord il a fait un petit exercice, cas d’école, sur l’interprétation de résultats statistiques. Un exemple où il supposait des tests d’infection avec une fiabilité de 95 %. Il montrait que la bonne interprétation n’est pas celle évidente. Ceci pour dire que les chiffres ne veulent pas dire grande chose si on ne les sait pas interpréter. Avec cet exemple, il démontrait que l’efficacité réelle est inférieure à ça. Il n’a, en aucun cas, dit que ces tests étaient inutiles. Le message est clair – il ne faut être précautionneux pour interpréter les chiffres. On reviendra sur ce point plus loin.

Le deuxième message concernait les qui disent n’importe quoi sur internet. Il cite particulièrement des personnalités politiques, qui ne sont pas en charge de la gestion de la pandémie, et qui commencent leur discours par “Je ne suis pas médecin, mais…” – d’où le titre du tract. On a eu droit à ce genre d’opinion tout au long de la pandémie et pas juste de la part des politiciens.

Pour l’anecdote, on se souviendra de Jean-Luc Mélenchon, dans une période antivaccin, en manque d’argument lors d’un interview à BFMTV et pour ne pas rester sans rien dire, a sorti qu’il savait ce que c’est un vaccin puisqu’il est né ou a vécu au Jura, terre de Pasteur…

Étienne Klein nous invitait à faire confiance à la science, puisque des chercheurs y travaillaient sérieusement (d’autres pas… mais ils n’étaient pas directement liés à la gestion de l’epidémie).

Bilan des courses ? Je livre mon opinion personnelle. Il est indéniable qu’il y a eu des ratés, tant de la part du gouvernement que d’un certain nombre de scientifiques. Après, il faut découper ça en ceux qui avaient en charge la gestion de la pandémie et les autres qui ont largement pratiqué le sport de râler contre ceux qui bossent. Certains pour des raisons purement politiques et d’autres pour apparaître dans les médias et réseaux sociaux.

La France s’en est bien sortie, à mon avis. Le gouvernement, qui avait la charge de la gestion, était dans une position difficile prendre des décisions dans un contexte nouveau, tiraillé entre les scientifiques et les pressions des français et des opposants politiques, pas toujours très constructives et responsables. Par sa position géographique, la France a été plus sévèrement touchée que le Brésil et les États Unis, mais le taux de mortalité, en décès par millions d’habitants) a été plus faible. A mon avis, on peut dire que la gestion dans ces deux pays a été moins sérieuse, pour ne pas dire responsable, qu’en France. La mortalité en France a été plus faible aussi que chez nos voisins Italie, Espagne et Angleterre, mais plus forte qu’en Allemagne.

L’épidémie a été une belle occasion pour vérifier l’Effet Dunning-Kruger : on lit un tout petit peu sur un sujet, on comprend juste, au maximum, les grandes lignes, et on se considère un expert, alors qu’il y a encore beaucoup à apprendre. C’est ce qu’on appelle “Montagne de l’ignorance”.

La controverse

Un autre tract est apparu juste après la sortie de celui de Étienne Klein : “Je ne suis pas médecin, et j’emmerde Étienne Klein”, signé par Julien Dumont. L’auteur se présente comme étant ingénieur diplômé par l’UTC de Compiègne et dirigeant d’une société de conseil dans l’audiovisuel : Gomboc Solutions.

Tout d’abord, il y a probablement matière pour que Julien Dumont soit poursuivi en pénal par Gallimard. Le problème n’est pas le contenu de son tract mais le fait qu’il copie la charte graphique des tracts Gallimard et donne l’impression à ceux qui ne sont pas attentifs, qu’il s’agit d’une publication Gallimard. C’est, donc, de la contrefaçon. Je pense que Gallimard ne l’a pas fait à cause du contenu, tellement médiocre, qu’il fallait laisser le sujet à l’appréciation de ceux qui le lisent.

Sur le contenu… c’est un contenu où il déverse une haine incroyable, avec des insultes, manque de respect, grossièretés et… âneries.

Pour commencer, il critique l’expérience de pensée de Étienne Klein, faite avec un but pédagogique. Mais Julien Dumont semble ne pas savoir ce que c’est une expérience de pensée et encore moins les notions de statistiques expliquées par Étienne Klein. Et, pourtant, il se présente comme étant ingénieur.

Puis, il estime avoir bien compris les conséquences de la maladie et comment de protéger, puisqu’il a lu deux articles (juste deux) trouvés dans un blog (Tomas Pueyo) sur internet (page 3). C’est l’effet Dunning-Kruger en action !!!

Je cite une phrase pour illustrer le genre de style littéraire : “Et toi, Étienne, tu serais prêt à en boire de la pisse d’âne si MONTAGNIER te le recommande ?” (page 7). Étienne Klein ne mentionne nulle part le nom de M. Montagnier.

En plus de ce style insultant et déplacé, présent tout au long de la publication, il “met des mots dans la bouche” d’Étienne Klein, qu’il n’a pas dit.

Sur les organismes de recherche français, il dit : “Et pour ma part, je n’écarterais pas si vite la responsabilité de tous ces méta-organismes (CNRS, Institut Pasteur, INSERM, ARS, ANSM, …) plombés par de la bureaucratie, des certitudes, une large part d’incompétence et des structures dirigeantes totalement nulles”. J’avoue ne pas savoir pour qui il se prend ni sur quelles bases vérifiables pour affirmer cela. Si c’est juste une opinion personnelle, il ferait mieux de la garder pour lui.

Bref, personne est obligé de partager l’opinion de quelqu’un d’autre mais, dans ce cas, si on souhaite s’exprimer et si on souhaite être crédible, il est préférable de le faire dans le respect de l’autre, de façon courtoise et, de préférence, sans dire des âneries.

Citations

(p. 3)

Or, à l’occasion de cette épidémie de Covid-19, nous voyons se propager, notamment sur les réseaux sociaux, une forme très intense et très contagieuse de “démagogisme cognitif”, c’est à dire d’un type de discours qui promeut des points de vue intuitifs et souvent erronés sur toutes sortes de sujets. Par exemple, à propos de tel ou tel traitement dont l’efficacité éventuelle n’est pas encore formellement établie – et pour cause, cela demande du temps et réclame un gros travail de recherche ! -, on a pu lire sous la plume de certains responsables politiques (qui, heureusement ne sont pas – ou plus – aux affaires…) de courtes déclarations commençant par : “Je ne suis pas médecin, mais je pense que…”.

(p. 3-4)

Ainsi est-il devenu possible d’avoir suffisamment confiance dans son seul ressenti (sans doute dopé en intraveineuse par un surdimensionnement de l’ego) pour trancher d’un simple coup de phrase – en reconnaissant ne rien y connaître ! – des questions vertigineusement complexes.

Par effet de quelque étrange paradoxe postmoderne, se savoir ignorant n’empêche donc plus de se considérer tout de même comme un savant, et de très vite le faire savoir urbi et surtout orbi. Croire savoir alors même qu’on sait ne pas savoir, telle me semble être devenue la véritable pathologie du savoir. Les vrais sachants, les spécialistes, les experts n’ignorent pas le savoir, eux, et ils savent également dire ce qu’ils ignorent : ils savent ce qui est déjà établi, mais aussi tout ce qui fait encore trou dans la connaissance, tout ce que le savoir ne contient pas encore et qu’ils viennent inquiéter.

Quatrième de couverture

« Cela n’a rien de certain, mais par son ampleur et sa radicalité, la pandémie en cours éclairera sans doute d’une lumière neuve les relations ambivalentes que notre société entretient avec les sciences et la recherche. »