Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée – Des têtes bien faites
Le sujet de ce livre est “l’esprit critique”.
Il convient de préciser ce dont on parle dans ce livre. Dans un monde saturé d’information, fausse pour la plupart, c’est la capacité d’identifier ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.
Une autre approche de “esprit critique” est une version d’origine plutôt idéologique marxiste qui consiste à pouvoir s’identifier dans des classes sociales dominées. Cette version a son origine dans les travaux de Paulo Freire et son livre : “Pédagogie des Opprimés”. Ce n’est pas le sujet de notre livre.
La première partie du livre – Les ratés de la raison – traite des causes qui nous rendent crédules, vulnérables, qui peuvent nous faire croire à n’importe quoi. Des causes psychologiques/cognitives, sociologiques ou philosophiques.
La deuxième partie – Croyances Étranges – présente des exemples de croyances douteuses : le soucoupisme, le climato-scepticisme, la vie après la mort, la fin du monde et les croyances conspirationnistes.
On peut penser que cette petite liste est trop réductrice mais elle a été très bien choisie, puisque ce sont des thèmes assez faciles à traiter et balayent assez large : la science, les religions, le surnaturel ou encore la diffusion de fausses informations. Chaque thème est traité dans le détail expliquant comment ils sont apparus et leurs incohérences.
La troisième partie est la partie pratique. Quelques initiatives très intéressantes pour le développement de l’esprit critique.
Dans un premier type d’initiatives, c’est l’intéressé à comprendre qui va chercher de l’information. “Conspiracy Watch” est un site web qui recense des personnes et institutions complotistes et leurs théories. Avis personnel : c’est une mine d’information à consulter sans modération.
“La tronche en biais” est un canal sur youtube avec des vidéos pédagogiques dont le but est l’information et développement de l’esprit critique. Avis personnel : vidéos intéressantes, plus généraliste que “Conspiracy Watch”, mais avec un contenu moins approfondis. Très certainement dû aux conditions de création de vidéos. Mais ça vaut le détour.
“Sciences et pseudo-sciences” est une revue, pas assez connue, publiée par l’Association Française pour l’Information Scientifique depuis plus de 50 ans. Avis personnel, très intéressante. Leur site web contient aussi beaucoup d’informations. Comme le nom l’indique, il s’agit surtout de thèmes scientifiques ou pseudo-scientifiques.
La deuxième catégorie concerne l’enseignement. “Traquer les fausses informations” est un cours mis en place par Rose-Marie Farinella en école primaire pour développer cet esprit dès l’enfance. Au niveau lycée, Sophie Mazet a mis en place un “Cours d’autodéfense intellectuelle”, à l’origine du livre “Manuel d’autodéfense intellectuelle”. A cela s’ajoute les cours universitaires de Mathieu Hainselin (psychologue).
Ce sont des expériences réussies mais qui restent cantonnées à quelques institutions : on comprend bien qu’elles résultent de l’initiative personnelle de quelques enseignants et que des disciplines de ce genre ne sont pas faciles à intégrer dans les programmes.
C’est un excellent livre, toujours d’actualité même si publié en janvier 2019. Depuis, on a vu la pandémie COVID-19 ou la guerre en Ukraine. Les élections en 2022 ont été une occasion pour essayer de ré-écrire l’histoire. L’urgence du réchauffement climatique est aussi l’occasion en or pour certains militants d’idéologies qui ne sont pas forcément liées à l’écologie. Ce qui a changé depuis la publication de ce livre est surtout le nombre et l’agressivité des fausses informations avec des conséquences parfois dramatiques.
Ce livre ne dit pas tout mais donne une vue d’ensemble sur le sujet. Des nombreuses références en pied de page permettent d’aller plus loin.
Parfois j’évite les livres écrits par plusieurs auteurs (sous la direction de…). Assez souvent ils n’ont pas un vrai fil conducteur et on a l’impression que les chapitres n’ont pas une suite. Ce n’est pas du tout le cas de ce livre.
Le sujet est d’une grande actualité. Gerald Bronner a écrit plusieurs livres sur ce sujet. Il a été désigné par le gouvernement pour diriger une étude sur les “fake news”, publié avec le titre “Les lumières à l’ère numérique”. Un autre livre doit sortir en juillet 2023 : “Enseignement d’histoire et esprit critique”, par Lucie Gomes.
Citations
(p. 17-18)
L’attachement opiniâtre à des croyances fausses ne semble pas devoir être expliqué par une attirance pour les croyances fausses en général ou par une tendance à acquérir de telles croyances. Pour trouver une explication à ce phénomène, il faut donc se tourner vers d’autres mécanismes, par exemple des mécanismes d’interactions sociales. Ainsi Dan Sperber a-t-il proposé une explication d’une classe de phénomènes qui tombe sous la catégorie de l’attachement obstiné aux croyances fausses sans la recouvrir, à savoir l’attachement à des propositions obscures parce qu’elles sont émises par des locuteurs célèbres. Sperber nomme “effet-gourou” l’ensemble des mécanismes qui aboutissent à l’adhésion de certains à des énoncés dont le sens est tout sauf limpide. Comme il l’indique lui-même au début de son article, vivre à Paris offre des multiples occasions d’être confronté à l’effet-gourou, puisque les écrits de nombreux auteurs comme Lacan, Derrida, Deleuze ou encore Badiou ont suscité à plusieurs reprises des formes d’adhésion dont la compréhension n’était pas le principal moteur. On pourrait dire qu’on dépasse ici le thème de l’attachement à des croyances fausses, puisque les phrases obscures de certains auteurs célèbres n’ont pas toujours de valeur de vérité identifiable – il est bien difficile de dire si elles sont vrais ou fausses. Cependant, ces phrases font parfois l’objet de la même attitude d’adhésion obstinée et imprudente.
Quatrième de couverture
L’esprit critique est sur toutes les lèvres. Entre l’explosion des fake news et autres rumeurs sur internet, et les innombrables théories du complot qui poussent certains jeunes sur la voie de la radicalisation, nous vivons dans un monde parsemé de pièges pour nos cerveaux, trop enclins à adhérer à des idées fausses voire complètement farfelues.
Dans cet ouvrage à la fois théorique et pratique, philosophes et chercheurs exposent les failles mentales qui nous rendent vulnérables aux erreurs de raisonnement tandis que vidéastes, journalistes ou enseignants témoignent des actions menées pour développer l’hygiène mentale de leurs contemporains. Ensemble, ils imaginent des bonnes pratiques de l’autodéfense intellectuelle, afin de poser des jalons d’un enseignement de l’esprit critique plus que jamais nécessaire et qui, surtout, aura fait la preuve de son efficience.