Kressmann Taylor – Inconnu à cette adresse

Ce livre tombe à pique à un moment où l’antisémitisme redevient à la mode dans certains milieux ou dans certaines tendances idéologiques.

On ne pouvait pas avoir mieux qu’un livre avec aussi court. Il n’y a pas de narrative, juste 19 lettres échangées entre les deux personnages entre novembre 1932 (peu avant l’arrivée de Hitler au pouvoir) et mars 1934.

Ce sont deux amis marchands d’art vivant en Californie : Martin est Allemand et Max Juif Américain. Martin rentre en Allemagne mais ils restent des associés de leur Galerie avec une amitié qui semble inébranlable.

Les échanges montrent l’évolution de leur amitié. Alors que Max demande ce que son ami pense de Hitler, celui-ci répond qu’il n’est peut-être pas trop mal.Martin obtient un poste élevé dans l’administration nazie, gagne très bien sa vie et fréquente la haute société. Au moins en apparence, il devient un nazi convaincu au point de décider de mettre fin à leur amitié. Puis une trahison de Martin est la cause de la mort de la sœur de Max, anciennement amoureuse de Martin. Max se venge de façon on ne peut plus intelligente et Martin perd tout son prestige.

Il y a deux grand sujets de réflexion, et d’actualité, dans cette nouvelle. Pourquoi Martin est devenu antisémite : avait-il un antisémitisme latent dans l’attente de se manifester, était-il un opportuniste qui a adhéré au nazisme pour avoir un rang social élevé ou était-il simplement un faible d’esprit qui s’est laissé manipuler par cette idéologie ? Les trois cas existent et j’arrive à les identifier dans les antisémites de nos jours. Le deuxième sujet de réflexion est la trahison : a-t’il laisser mourir la sœur de Max à cause d’une haine antisémite, ou juste une couardise ?

Cette nouvelle est parue dans dans “Story Magazine” en 1938, la même année de la Nuit de Cristal, en Allemagne (je n’ai pas réussi à trouver si avant ou après). Cette nouvelle a été publiée sous la forme de livre en 1939.

C’est suite à cette nouvelle que, conseillée par son mari, l’autrice utilise comme pseudo juste ses noms de famille, pseudo qu’elle gardera jusqu’à sa mort.

Je recommande vivement sa lecture.

Citations

(p. 45)

1er août 1933 – Je ne trouve plus le repos après la lettre que tu m’as envoyée. Elle te ressemble si peu que je ne peux attribuer son contenu qu’à ta peur de la censure. L’homme que j’ai aimé comme un frère, dont le cœur a toujours débordé d’affection et d’amitié, ne peut pas s’associer, même passivement, au massacre de gens innocents. Je garde confiance en toi, et je prie pour que mon hypothèse soit la bonne; il te suffit de me confirmer par lettre par un simple “oui”, à exclusion de tout autre commentaire qui serait dangereux pour toi. Cela me convaincra que tu joues le jeu de l’opportunisme mais que tes sentiments profonds n’ont pas changé; que je ne me suis pas leurré en te considérant comme un esprit libéral et droit, pour qui le mal est le mal, en quelque nom qu’on le commette.

(p. 51-52)

18 août 1933 – Tu dis que nous persécutons les libéraux, que nous brûlons les livres. Tu devrais te réveiller : est-ce que le chirurgien qui enlève un cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais ? Il taille dans le vif, sans états d’âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal; notre re-naissance l’est aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête ! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté d’une épée dégainée ? C’est ce qu’est notre Führer, mais tu n’as jamais rencontré un Hitler.

Tu m’obliges à te répéter que tu ne dois plus m’écrire. Nous ne sommes plus en sympathie, tu devrais t’en rendre compte.

Quatrième de couverture

1932, Martin Schulse, un Allemand, et Max Eisenstein, un Juif américain, sont marchands de tableau en Californie. Ils sont aussi unis par des liens plus qu’affectueux – fraternels. Le premier décide de rentrer en Allemagne. C’est leur correspondance fictive entre 1932 et 1934 qui constitue ce livre, écrit par une Américaine en 1938, et salué à l’époque, aux États-Unis, comme un chef-d’œuvre. Incisif, court et au dénouement saisissant, ce livre capte l’Histoire avec justesse. C’est un instantané, une photographie prise sur le vif qi décrit sans complaisance, ni didactisme forcené, une tragédie intime et collective, celle de l’Allemagne nazie.