Georges Hyvernaud – La peau et les os

Petit livre étonnant. De ce livre on peut avoir plusieurs lectures. Voici la mienne.

Ce livre à été un échec lors de sa sortie et est resté oublié pendant plus de 30 ans. Je le considère un petit bijou.

Georges Hyvernaud Ă©tait professeur en lycĂ©e, puis Ă  l’Ă©cole normale d’instituteurs de la Seine.

Il raconte les cinq annĂ©es passĂ©es, 1940-1945) en tant que prisonnier de guerre, depuis la dĂ©faite de la France face Ă  l’invasion de l’Allemagne. Cinq annĂ©es d’oisivetĂ© dans un camp destinĂ© aux officiers. Rien Ă  voir avec la vie dans les camps de concentration.

Ça commence par le repas en famille lors de la libĂ©ration. Puis son pire souvenir : les cabinets. Puis des rĂ©flexions sur la vie des prisonniers. Et Ă  la fin, il apprend la mort, fusillĂ©, d’un de ses Ă©lèves, un Ă©lève qui l’a marquĂ©.

Bien sĂ»r, il parle de la vie dans le camp mais, finalement, il y a beaucoup plus de rĂ©flexions sur la vie que sur des faits ou des conditions d’emprisonnement. Des souvenirs de la vie avant l’emprisonnement. Il se moque beaucoup d’un autre prisonnier, Beuret, qui cherchait le « sens de la vie ». Et pourtant, avec un peu de recul, c’est justement ce qui fait l’auteur tout au long de l’ouvrage : le sens de la vie d’un prisonnier, le sens de l’Histoire, …

L’autre point intĂ©ressant est le style d’Ă©criture, populaire et pas de l’intellectuel qu’il Ă©tait. Écriture dĂ©crite par le musicien Serge Teyssot-Gay comme d’une « honnĂŞtetĂ© viscĂ©rale ».

C’est ce mĂ©lange de rĂ©flexion philosophique dans un style littĂ©raire inattendu qui fait, Ă  mon humble avis, que ce livre devienne un vrai petit bijou.

Citations

(p. 73-74)

Qu’est-ce que ça pouvait ĂŞtre, pour eux, les Croisades, Qu’est-ce que c’Ă©tait , la RĂ©volution ? Pour eux, pas pour les historiens. Car il n’y a que cela que je trouve intĂ©ressant : le retentissement de l’Histoire en l’homme. Mais justement les historiens ne s’y intĂ©ressent pas . L’Histoire des historiens est comme un magasin d’habillement. Tout y est classĂ©, ordonnĂ©, Ă©tiquetĂ©. Les donnĂ©es politiques, militaires, Ă©conomiques, juridiques; les causes, les consĂ©quences, les consĂ©quences des consĂ©quences, et les liaisons, les rapports, les ressorts. Tout cela bien Ă©talĂ© devant l’esprit, clair, nĂ©cessaire, parfaitement intelligible. Ce qui n’est pas clair du tout, ce qui est obscur et difficile, c’est l’homme dans l’Histoire; ou l’Histoire dans l’homme, si on prĂ©fère; la prise de possession de l’homme par l’Histoire. L’homme complique tout. Dès que l’acteur, celui qui y Ă©tait, s’en mĂŞle, on ne s’y reconnaĂ®t plus, on ne peu plus s’en sortir. Il dĂ©range les belles perspectives historiques avec sa façon Ă  lui de mettre les dĂ©tails en place, et jamais Ă  la bonne place. Pour lui, c’est toujours ce qui n’a pas d’importance qui compte le plus. Des questions de soupe, de corvĂ©es, de vaguemestre et des feuillĂ©es. Il faut voir alors ce que deviennent les Ă©vĂ©nements dans la tĂŞte de l’homme qui y Ă©tait. §Et pas dans sa tĂŞte seulement, mais dans ses jambes, dans ses reins, dans ses boyaux, dans tout son corps qui saigne, qui sue, qui sent le vin, l’ail et pire que ça. L’Histoire des historiens n’a pas d’odeur.

(p.97)

L’imagerie de PĂ©guy, ses rĂŞves de batailles, de chevauchĂ©es de croisades, tout cela n’a pas l’air sĂ©rieux quand l’Ă©vĂ©nement est lĂ . Et c’est fait. Le temps de la rhĂ©torique est passĂ©. Nous l’avons eue, nous aussi, notre inscriptions historique. Et quand on a le nez sur l’Ă©vĂ©nement, ça change vos façons de voir. L’Ă©vĂ©nement est comme les cadavres. Il n’est glorieux et beau que dans la littĂ©rature de collège. Dans le vrai de la vie, c’est piteux, c’est moche, ça pue.

Quatrième de couverture

En juin 1940, des centaines de milliers de vaincus s’acheminent vers les stalags sous les coups et les cris du vainqueur. Georges Hyvernaud, instituteur charentais, marche dans ce troupeau en guenilles, hĂ©bĂ©tĂ© de faim, de fatigue et de honte. Au bout du voyage, cinq ans de nuit et de boue. Dix-huit cents jours d’humiliation, de promiscuitĂ© rĂ©pugnante, de pestilence et d’abjection. Le prisonnier de guerre est cet homme nu, privĂ© d’identitĂ©, d’espoir et de rĂŞves.

La peau et les os est un tĂ©moignage implacable sur le cauchemar, le vide, la mort. Ce livre terrible, chef-d’Ĺ“uvre longtemps oubliĂ©, est aussi un acte magnifique d’exorcisme et de libĂ©ration.