Vladimir Jankélévitch – La conscience juive
Ce livre contient la transcription de 7 conférences de Vladimir Jankélévitch lors des colloques des intellectuels juifs de France, entre 1957 et 1963. Ces conférences avaient pour but, entre autres choses, réveiller la judéité de ceux qui l’avaient un peu perdu avant la guerre.
Il est important de se remettre dans le contexte de l’époque et même de la vie de Vladimir Jankélévitch pour mieux apprécier ce contenu.
La deuxième guerre était finie depuis peu de temps et les Juifs étaient encore en train de digérer ce passé. Nombreux étaient les Juifs qui ont, obligés, découvert leur judéité lors de la guerre par la menace qui leur est tombé dessus.
C’était même le cas de Vladimir Jankélévitch, fils d’intellectuels juifs ayant fuit la Russie à cause des pogroms. Sa famille ne pratiquait aucune religion. Peut-être par “la tentation” dont il a parlé dans une de ces conférences. On en reviendra.
Les aspects philosophiques de la judéité ou du judaïsme ne faisaient pas partie, en principe, des sujets d’étude de Vladimir Jankélévitch mais la révélation de ses origines par la guerre l’a obligé à y réfléchir. Ces conférences sont le résultat de ses réflexions. Et peut-être, et ce n’est que mon impression, il est devenu “plus juif” que beaucoup de ceux qui étaient un perdus et c’est ce qui l’autorisait à présenter ses réflexions dans ces colloques. Je livre ici quelques points qui ont retenu mon attention.
Les Juifs étaient, avant la création de l’État de Israël, un peuple apatride mais pas nomade. De là, la situation instable entre se fondre complètement dans la société où ils vivent et garder ses particularités de peuple Juif. On voit bien que beaucoup de Juifs prennent partie de notre société, œuvrant sans mettre en avant le fait d’être des Juifs. La “tentation” de pencher vers un ou l’autre côté. Ceci a peut-être du toucher sa famille puisque, fuyant la Russie, ils se sont établis en France et ont, peut-être, voulant s’intégrer dans leur nouveau pays d’accueil ont peut-être partiellement succombé à cette “tentation”.
Encore, de cette situation de presque double personnalité, les Juifs sont, à la fois, des Juifs et des pas Juifs. L’antisémitisme, pour Vladimir Jankélévitch, a la caractéristique de vouloir enfermer les Juifs dans leur côté juif en les empêchant d’assumer leur autre côté.
Vladimir Jankélévitch réfute l’idée parfois soutenu comme quoi les terres de l’État de Israël ait été donné aux Juifs comme compensation d’un supposé état de victimes. Il est vrai que la plupart des Juifs des pays de l’est ont du trouver où aller puisqu’ils ne pouvaient plus rester où ils étaient avant. Mais il est aussi vrai que cette terre était réclamée depuis longtemps, des Juifs y habitaient déjà depuis des millénaires.
Ce livre date déjà, mais la plupart des sujets restent d’actualité. Pour les autres, la lecture reste toujours valable pour comprendre le contexte d’après guerre et la pensée de celui que est un des philosophes remarquables du XXème siècle.
Un autre livre de Vladimir Jankélévitch est “L’imprescriptible”, avec deux textes : “Pardonner ?” et “Dans l’honneur et la dignité”, où il livre ses réflexions sur la Shoah. La lecture en vaut la peine.
Citations
(p. 8)
Selon lui, la conscience juive fait appel à un problème intérieur. Le judaïsme est une idée, une exigence déraisonnable qui concerne tout l’être. “Comment définir quelque chose dont l’essence est d’être indéfinissable ? Il y a une vertu d’alibi, une altérité constitutionnelle qui est propre aux Juifs. […] C’est cette altérité qu’il faut essayer de rendre présente. […] Il y a dans le fait d’être juif un exposant supplémentaire d’altérité qui est le fait d’échapper à toute définition.” En effet, l’essence même de la qualité de juif comprend une difficulté ontologique supplémentaire. Mystérieusement, celle-ci ne procède pas du faire mais de l’être.
(p.8-9)
Pour certains, la guerre a été le révélateur de leur propre judaïsme, celui qu’ils avaient toujours nié, occulté ou tout simplement ignoré. C’est le cas de Vladimir Jankélévitch dont les parents, d’origine russe, ne pratiquaient aucune religion. Cet être fondamental lui a soudain été révélé. Choisir d’être aux côtés de ses frères, dans les épreuves, et, contre tout bon sens, choisir dans la nuit la liberté, lui parut essentiel car “le fait d’être juif ne s’efface, ni par la naturalisation, ni par la conversion”, nous rappelle-t-il.
(p.19)
Un homme n’est un homme que parce qu’il devient sans cesse ce qu’il est et parce qu’il est de ce fait sans cesse un autre. Mais il y a dans le fait d’être juif un exposant supplémentaire d’altérité qui réside dans le fait d’échapper à toute définition. Nous, qui revendiquons notre judaïsme, qui tentons de le retrouver en nous dans sa dimension essentielle, nous protestons lorsqu’on nous définit par cette qualité de juif, et nous estimons que c’est une des marques de l’antisémitisme que de vouloir enfermer le juif dans son étroitesse juive, de ne le définir que par cette qualité – que pourtant nous revendiquons. Comment se fait-il que les antisémites qui, après tout, abondent dans notre sens en nous parquant dans le judaïsme, méconnaissent aussi profondément l’essence du judaïsme ? Ils devraient être nos meilleurs amis ! En ce sens Hitler serait un bienfaiteur du peuple juif : il a permis à bon nombre d’entre nous de prendre conscience de leur judaïsme ! Et cependant les antisémites sont profondément, subtilement, machiavéliquement, disons diaboliquement antisémites, en ce sens qu’ils nous refusent la marque essentielle de l’esprit juif qui est de ne pas être seulement juif, d’être aussi un autre que soit. Ce que nous refusent les antisémites, c’est de n’être pas seulement nous mêmes.
Quatrième de couverture
“Si les Juifs n’existaient pas, il aurait fallu les inventer, il aurait fallu fabriquer un peuple mystérieux et disséminé comme nous le sommes, par rapport auquel l’homme puisse avoir des sentiments qui ne ressemblent pas à d’autres, qui ne se lassent pas banaliser et qui subsisteront jusqu’à la fin des temps […]. L’homme juif est deux fois absent de lui-même et en cela on pourrait dire qu’il et l’homme par excellence. Qu’il est deux fois homme. Deux fois plus humain qu’un autre homme par ce pouvoir d’être absent de soi-même et d’être un autre que soi. L’homme n’est un homme que parce qu’il devient sans cesse ce qu’il est et parce qu’il est de ce fait sans cesse un autre.”