Eva Illouz – Le 8-octobre : Généalogie d’une haïne vertueuse

Non, ce n’est pas une erreur, le titre est bien le 8 octobre et pas le 7 octobre. Le jour d’après !

L’autrice cherche à comprendre, après le attaque terroriste de l’Hamas en Israël le 7 octobre 2023, les réactions d’un certain nombre d’universitaires surtout américains, les réactions de joie et de jubilation. Et pourtant, ce sont des personnes avec un très bon niveau intellectuel qui se manifestent avec parfois, plus que de l’antisémitisme, une haine incompréhensible. Ce sont, par exemple, Judith Butler (voir citation p. 9), Andreas Malm et tant d’autres.

Comment expliquer que personnages de la gauche, ayant comme des valeurs affichées le humanisme et le pacifisme, puissent s’exprimer ainsi face à un acte abject de terrorisme.

Eva Illouz est une sociologue franco-israélienne, de tendance politique à gauche – elle le dit dans ce tract et cela apparaît dans d’autres livres qu’elle a écrit : « Happycratie« , par exemple, où elle écrit des parties sur le capitalisme. Professeur universitaire ayant enseigné dans des universitaires de prestige comme l’EHESS ou Princeton.

Elle souligne le manque de réciprocité : environ 800 entités juives américaines ont soutenu le mouvement Black Lives Matter, plus de 800 communautés juives, alors que cette communauté a resté silencieuse lors du pogrom.

Eva Illouz retrouve la source de ces manifestations dans la « French Theory« , mouvement initié en France dont on retrouve des noms connus : Jacques Derrida (la déconstruction), Jacques Lacan, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Simone de Beauvoir et autres. Ce mouvement a trouvé un engouement dans les universités américaines et a contribué à l’apparition des études culturelles, études de genre et études postcoloniales. Do côté américain, on trouve, par exemple, Judith Butler (études de genre), Donna Haraway (antispécisme) ou Edward Said et Gayatri Spivak (postcolonialisme). Ces études sont menés par des universitaires de tendance politique à la gauche marxiste, voire gauche radicale.

Le texte est dense et tout est à prendre mais, à mon avis, un paragraphe des pages 39-40 (voir citation) explique presque tout. L’autrice montre comment l’antisémitisme soviétique, combiné avec avec son idéologie anti-impérialiste a assimilé le sionisme à l’impérialisme. La gauche anticolonialiste s’est approprié de ce récit et a remplacé la figure du prolétaire par celle du Musulman oppressé et celle des sionistes par celle du colonisateur.

La idéologie nazie a impacté fortement certains courants islamistes. Hassan Al-Bannah, arrière grand oncle de Tarik Ramadan, fondateur des Frères musulmans était un admirateur de Hitler et traduisit « Mein Kampf » par « Mon Jihad« . Amin Al-Husseini, grand mufti de Jérusalem a passé toute la guerre 1940-45 en Allemagne et a aidé au recrutement de musulmans pour la formation de la division Waffen SS Handschar. Ceci explique probablement en partie, la haine que certaines mouvances islamistes nourrissent des Juifs, haine adoptée aussi par la gauche anticolonialiste, des individus qui ne sont pas forcément ni des Juifs ni des Palestiniens.

Il est important de préciser que le but de cet ouvrage est surtout de comprendre les réactions de joie et de jubilation suite à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023. L’autrice ne montre pas son sentiment sur le conflit.

Citations

(p. 9)

Judith Butler, l’icône de la gauche queer déjà citée, était invitée le 3 mars 2024 à une table ronde organisée à Paris par le parti décolonial des Indigènes de la République. Ses remarques sur les femmes violées, torturées et abattues de sang-froid ne pouvaient que laisser toute personne modérément décente abasourdie. « Qu’il y ait ou non des preuves des allégations de viols de femmes israéliennes » – dit-elle avec une grimace sceptique -, « OK, s’il y a des preuves, alors nous le déplorons […] mais nous voulons voir ces preuves et nous voulons savoir si c’est juste ». Si ces femmes avaient été congolaises, soudanaises ou kosovares, Judith Butler n’aurait probablement pas osé faire montre d’un scepticisme aussi répugnant. Le fait que les femmes assassinées étaient israéliennes rendait ce scepticisme légitime, voir de rigueur.

(p. 39-40)

Après un très bref flirt avec le sionisme, dès les années 1950, l’Union soviétique commença à mener une campagne antisémite forcenée. L’Union soviétique se présentait comme une force anti-impérialiste contre les États-Unis et la principale innovation de son antisémitisme ancestral russe consistait à assimiler le sionisme à l’impérialisme et donc à associer au principe du mal qu’étaient les États-Unis. Cette propagande s’est avérée beaucoup plus durable et fructueuse que le régime soviétique lui-même. Elle se distilla dans le monde arabe et ce d’autant plus facilement que celui-ci était devenu farouchement opposé au nationalisme juif et que certains de ses leaders avaient adopté dès les années 1940 l’idéologie nazie. Hassan Al-Banna, par exemple, fondateur du mouvement des Frères musulmans en Égypte en 1928, vouait une telle admiration à Hitler qu’il traduisit Mein Kampf par Mon Jihad. Une des affinités entre le nazisme et l’idéologie des Frères musulmans, toujours présente et active dans le Hamas contemporain, est l’intention d’éliminer tous les Juifs, dans le Moyen-Orient, et si possible dans le monde entier. La propagande soviétique antisioniste arriva donc dans un Moyen-Orient déjà contaminé par l’antisémitisme islamiste pronazi. Le Hamas est l’héritier direct de cette nébuleuse religieuse, nazie, nationaliste et anti-impérialiste; mais cette histoire a été entièrement occultée en Occident. Une raison de cet « oubli est que la réalité était contradictoire: le colonialisme européen au Moyen-Orient coexistait avec le fait que l’idéologie nazie avait été adoptée par certains courant islamistes, eux-mêmes étant une réaction au colonialisme. La victime ne pouvant être aussi bourreau, il était narrativement plus facile pour la gauche anti-impérialiste de remplacer la figure du prolétaire par celle du Musulman, faisant de ce dernier une classe universelle attendant d’être libérée du joug de l’impérialisme occidental.

Quatrième de couverture

« Quand les Lumières et leurs vertus ont été rejetées, l’antisionisme devient la seule vertu capable de rassembler ceux qui ont tout déconstruit. » Eva Illouz

Les grands événements ont leur jour d’après. C’est le sujet de ce Tract, qui s’interroge sur la révélation d’un antisémitisme de gauche au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël. Aurions-nous pu penser que, dans les milieux progressistes occidentaux, le 8 octobre 2023 puisse ne pas être le jour de la compassion unanime à l’égard des victimes des atrocités de la veille ? Au lieu de cela, on entendit, à New York comme à Paris, des voix autorisées saluer, avec une émotion jubilatoire, un acte de résistance venant châtier l’oppresseur israélien. Décomplexé, cet antisionisme radical a eu pour terreau un système de pensées, la « théorie » qui, avec sa passion déconstructiviste, tend à plaquer une structure décoloniale sur les événements du monde, au mépris du fait brut et de sa complexité. On peut mettre au jour les causes d’une guerre ; on cherchera plutôt ici à retracer la généalogie intellectuelle de ce qui nie l’évidence du crime… Et à remonter aux sources de cet antisémitisme de confort où le Juif cristallise ce que certains esprits jugent bon de reprocher à une partie de l’humanité.