Eva Illouz – Happycratie

Ah, l’industrie du bonheur promis…

Les deux auteurs s’attachent Ă  dĂ©monter l’idĂ©e de la « psychologie positive » comme Ă©tant plutĂ´t un phĂ©nomène du marchĂ© du bonheur.

Difficile de trouver un point d’Ă©quilibre optimal entre l’optimisme excessif, le pessimisme excessif et le rĂ©alisme excessif. Ce livre s’attaque Ă  la « happycratie » comme l’idĂ©ologie du bonheur. Je caricature : tout est beau, la vie est belle, il n’y a pas de problème et si on n’est pas heureux c’est parce qu’on ne regarde pas les choses du bon cĂ´tĂ©. C’est devenu le fond de commerce du dĂ©veloppement personnel et de certaines sectes. Un vrai business.

J’adhère Ă  la plupart des arguments. NĂ©anmoins, il y a deux points qui me dĂ©rangent dans le contenu de ce livre.

Il y a des gens qui sont excessivement pessimistes, excessivement optimistes ou excessivement rĂ©alistes. Les « excessivement » sont, en gĂ©nĂ©ral, des situations pathologiques. Un peu d’optimisme peut parfois faire du bien, Donc, si on enlève la partie « marchĂ© du bonheur », peut-ĂŞtre que la psychologie positive peut ĂŞtre utile Ă  certains.

L’autre point qui me dĂ©range, et beaucoup plus, est la mention frĂ©quente au « nĂ©olibĂ©ralisme », presque en l’accusant d’ĂŞtre le coupable de l’apparition de ce marchĂ© du bonheur. Je pense que l’auteur, comme beaucoup, confond corrĂ©lation et causalitĂ©.

Il est vrai que s’il y a une demande, il y aura de l’offre. C’est un mĂ©canisme Ă©conomique archi connu, valable partout. S’il n’y avait pas des malades, la mĂ©decine n’existerait pas. C’est valable pour toute branche de la psychologie, d’ailleurs. Et aussi la psychanalyse.

Je crois voir dans les diffĂ©rents Ă©crits de Eva Illouz qu’elle a une tendance politique anticapitaliste (mais je peux me tromper). Il n’y a pas de mal Ă  ĂŞtre de l’un cĂ´tĂ© ou de l’autre. le problème est de ne pas laisser un biais cognitif dĂ» Ă  ses convictions personnelles s’insĂ©rer dans ses activitĂ©s scientifiques. C’est un point très difficile Ă  rĂ©gler lorsqu’on travaille en sciences humaines, en particulier la sociologie, la philosophie et, dans ce cas, la psychologie.

Quatrième de couverture

Le bonheur se construirait, s’enseignerait et s’apprendrait : telle est l’idĂ©e Ă  laquelle la psychologie positive, nĂ©e au tournant du siècle, s’attache Ă  confĂ©rer une lĂ©gitimitĂ© scientifique. Il suffirait d’Ă©couter les experts pour devenir heureux. L’industrie du bonheur, qui brasse des millions d’euros, affirme ainsi pouvoir façonner les individus en crĂ©atures capables de faire obstruction aux sentiments nĂ©gatifs, de tirer le meilleur parti d’elles-mĂŞmes en contrĂ´lant totalement leurs dĂ©sirs improductifs et leurs pensĂ©es dĂ©faitistes.

Mais n’aurions-nous pas affaire ici Ă  une autre ruse destinĂ©e Ă  nous convaincre, encore une fois, que la richesse et la pauvretĂ©, le succès et l’Ă©chec, la santĂ© et la maladie sont de notre seule responsabilitĂ© ? Et si la dite science du bonheur visait Ă  nous convertir Ă  un modèle
individualiste niant toute idée de société ?

Edgar Cabanas et Eva Illouz reconstituent ici avec brio les origines de cette nouvelle « science » et explorent les implications d’un phĂ©nomène parmi les plus captivants et inquiĂ©tants de ce dĂ©but de siècle.