Raphael Gaillard – Un coup de hache dans la tĂȘte

Le sujet de ce livre est le rapport, s’il y en a, entre la folie et la crĂ©ativitĂ©. Et l’auteur est normalien et mĂ©decin psychiatre, chef de service Ă  l’HĂŽpital Sainte-Anne, Ă  Paris.

Il nous fait une présentation en crescendo, et je résume, juste les points principaux à retenir.

Ça commence par la thĂ©orie de l’Ă©volution et le darwinisme. Et lĂ … d’oĂč venons nous ? Il y a nous, les homo sapiens, et les autres. Il nous explique le fonctionnement du cerveau, de notre cerveau extrĂȘmement plus complexe que ceex des autres espĂšces. Du coup, il dĂ©fend l’idĂ©e que cette complexitĂ© de notre cerveau a Ă©tĂ© acquise grĂące Ă  une certaine perte de « fiabilité », si on peut dire comme ça. Cette perte de « fiabilité » introduit des vulnĂ©rabilitĂ©s, qui n’existent pas dans des cerveaux plus primitifs et moins complexes. C’est hors sujet ici, mais j’aurais aimĂ© avoir son opinion sur les thĂ©ories (ou plutĂŽt idĂ©ologies) dites antispĂ©cistes.

Une rĂ©flexion rapide, trĂšs rapide sur ce que c’est la conscience, lorsqu’il parle du fonctionnement du cerveau, et j’ai compris qu’il ne croit pas Ă  la dualitĂ© corps / esprit.

Et là commence la partie intéressante. Il nous parle de la créativité et nous expliques les psychopathologies pouvant avoir un rapport avec la créativité : la dépression, la bipolarité (alternance de dépression et manie) et la schizophrénie.

Et on tombe sur des conclusions qui peuvent étonner mais sont fondées sur des données statistiques : les créatifs ne sont pas forcément fous ou vice versa. La relation est plutÎt de parenté. Les vulnérabilités du cerveau dont on a parlé se transmettent de génération à génération et peuvent générer soit des gens normaux, soit des créatifs soit des fous. Et la probabilité de trouver des fous dans la famille des créatifs, et vice versa, est plus importante que dans la population normale.

Ensuite, il y a tout une rĂ©flexion sur l’art crĂ©Ă© par des fous, que l’on dĂ©signe par l’art brute, sur le langage et d’autres sujets dont on ne pense pas Ă  priori. Des sujets plutĂŽt philosophiques.

Et ça fini par une rĂ©flexion sur le mĂ©tier de mĂ©decin psychiatre. Son rĂŽle est plutĂŽt de soulager la souffrance mentale d’un malade que de les fixer dans le chemin de la crĂ©ativitĂ©. C’est une spĂ©cialitĂ© Ă  part dans la mĂ©decine puisqu’il ne traite pas le patient juste comme un « corps machine » tel que thĂ©orisĂ© par Descartes, tel que dans la plupart des autres spĂ©cialitĂ©s. Pour ĂȘtre un psychiatre il est utile de dominer aussi d’autres domaines de connaissance tels la philosophie.

Un livre qui m’a beaucoup appris fait rĂ©flĂ©chir. La lecture de ce livre me donne envie de lire d’autres et mĂȘme d’assister a ses cours.

Citations

(p. 64)

Il se peut en effet que le lien de causalitĂ© Ă©tabli de l’un Ă  l’autre ne soit pas pertinent, mais que l’une et l’autre de ces caractĂ©ristiques traduisent un ferment commun. Pourquoi pas un tempĂ©rament, d’ailleurs, dans le droit fil de la pensĂ©e d’Aristote. Dans cette hypothĂšse, ce n’est donc pas la dĂ©pression qui fait les grands hommes, pas plus que les grandes trajectoires individuelles ne font le lit de la dĂ©pression. Il existerait plutĂŽt un dĂ©terminant commun Ă  la dĂ©pression et Ă  ce qui rend les hommes exceptionnels, pour reprendre les mots d’Aristote.

(p. 67)

Nous observons aux siĂšcles suivants les rĂ©miniscences de ce lien entre folie et inspiration, et ainsi il n’est pas selon Diderot de grand artiste sans « un petit coup de hache dans la tĂȘte » :

« Nos qualitĂ©s, certaines du moins, tiennent de prĂšs Ă  nos dĂ©fauts. La plupart des honnĂȘtes femmes ont de l’humeur. Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tĂȘte; presque toutes les femmes galantes sont gĂ©nĂ©reuses; les dĂ©votes, les bonnes mĂȘme ne sont pas ennemies de la mĂ©disance, il est difficile Ă  un maĂźtre qui sent qu’il fait le bien, de n’ĂȘtre pas un peu despote. […] ».

Nous observons aux siĂšcles suivants les rĂ©miniscences de ce lien entre folie et inspiration, et ainsi il n’est pas selon Diderot de grand artiste sans « un petit coup de hache dans la tĂȘte » :

« Nos qualitĂ©s, certaines du moins, tiennent de prĂšs Ă  nos dĂ©fauts. La plupart des honnĂȘtes femmes ont de l’humeur. Les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tĂȘte; presque toutes les femmes galantes sont gĂ©nĂ©reuses; les dĂ©votes, les bonnes mĂȘme ne sont pas ennemies de la mĂ©disance, il est difficile Ă  un maĂźtre qui sent qu’il fait le bien, de n’ĂȘtre pas un peu despote. […] ».

« NĂ© du mĂȘme Ɠuf, avec des goĂ»ts diffĂ©rents » : ce que Diderot souligne en citant Horace, c’est la matrice partagĂ©e de la folie et de l’inspiration, leur commune origine sous le sceau d’un dĂ©sĂ©quilibre que consacre leur Ă©nergie.

« NĂ© du mĂȘme Ɠuf, avec des goĂ»ts diffĂ©rents » : ce que Diderot souligne en citant Horace, c’est la matrice partagĂ©e de la folie et de l’inspiration, leur commune origine sous le sceau d’un dĂ©sĂ©quilibre que consacre leur Ă©nergie.

(p. 117)

Comme le pointe Judith Schlesinger [*] dans sa fĂ©roce critique de cette mĂ©thode, les auteurs de ces travaux n’utilisent pas de mĂ©thode consensuelle pour porter un diagnostique et leurs travaux souffrent d’un biais de sĂ©lection : les Ă©crivains sont choisis en fonction de l’hypothĂšse d’un risque plus Ă©levĂ© de troubles mentaux et une frĂ©quence Ă©levĂ©e de troubles mentaux est par consĂ©quent mise en Ă©vidence. En suivant cette mĂ©thode, les chercheurs sont comme des entomologistes qui collectionneraient des papillons selon les dessins et couleurs de leurs ailes, en ignorant la grande majoritĂ© des papillons, dĂ©pourvue de telles caractĂ©ristiques. C’est ainsi qu’ils n’intĂšgrent pas dans leurs analyses ou collections les papillons de nuit, dont les couleurs sont le plus souvent ternes, et qu’ils concluent Ă  la grande frĂ©quence des couleurs vives sur les ailes des papillons. Et pourtant tout un chacun sait que nombreux sont les papillons de nuit chez les artistes !

[*] Schlesinger, J. The insanity hoax : exposing the myth of the mad genius – 2012

QuatriĂšme de couverture

Qu’est-ce qui fait de nous des ĂȘtres capables de crĂ©er ?

Lorsque Diderot Ă©crit que « les grands artistes ont un petit coup de hache dans la tĂȘte », il consacre une idĂ©e qui traverse les Ă©poques et les cultures : qu’il s’agisse de la mĂ©lancolie selon Aristote, de la tempĂȘte des passions selon les Romantiques ou du manifeste surrĂ©aliste, tous cĂ©lĂšbrent le lien entre folie et crĂ©ativitĂ©, au point de considĂ©rer la folie comme l’ordinaire du gĂ©nie.

Pourtant l’idĂ©e ne rĂ©siste guĂšre Ă  l’expĂ©rience quotidienne du psychiatre, qui raconte ici ses patients et montre combien la maladie les entrave et les livre Ă  la souffrance.

C’est Ă  partir de rĂ©centes Ă©tudes scientifiques qu’il devient possible de rĂ©soudre cette apparente contradiction : c’est du cĂŽtĂ© des parents, enfants, frĂšres et sƓurs des patients que pourrait bien se situer la propension Ă  la crĂ©ativitĂ©. Le lien entre folie et crĂ©ativitĂ© devient un lien de parentĂ© : notre ADN nous rend vulnĂ©rables aux troubles psychiques en mĂȘme temps qu’il nous permet de crĂ©er.

C’est parce qu’ils sont la contrepartie de ce qui fait de nous des ĂȘtres humains que ces troubles s’avĂšrent si frĂ©quents. Pour crĂ©er une Ɠuvre, il faut se reprĂ©senter le monde en pensĂ©e. Or l’acte Ă©lĂ©mentaire de penser est en soi un acte de crĂ©ation, et un pouvoir qui n’est pas sans risque : en façonnant nos reprĂ©sentations du monde, nous devenons capables de les enrichir Ă  l’infini.

Pour faire Ɠuvre ou pour se perdre.