Sonia Devillers – Les exportés
Ça se lit comme un roman mais il s’agit de journalisme d’investigation sur l’histoire des juifs en Roumanie et, en particulier, la famille de l’auteur.
Ce sont des faits peu connus. De 1945, à la fin de la Deuxième guerre, à 1989, la Roumanie a vécu sous un régime dictatorial assez rude. D’abord sous Gheorghe Gheorghiu-Dej jusqu’à 1965, puis sous Nicolae Ceausescu jusqu’à 1989.
Dans un pays très fermé, où personne ne pouvait le quitter, et un antisémitisme très féroce comment se débarrasser des juifs ?
Vu par les juifs, il n’y a rien de mystérieux : ils payaient un certain montant, assez élevé à un passeur, Henry Jacober, qui s’occupait de tout. Les juifs n’avaient droit qu’à deux valises avec le strict minimum et surtout pas d’argent.
La réalité était complètement différente. Le passeur n’avait droit qu’à une partie de l’argent. Le reste revenait à l’état roumain et servait à acheter du bétail : cochons, moutons, vaches ou taureaux, … à l’entreprise du passeur, spécialisée dans le commerce de bétail. Donc, en réalité, il s’agissait bien d’un « troc », ou d’exportation dont s’est vanté Nicolae Ceausescu : « Les Juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d’exportation ».
Ce système a commencé en 1958, avec un arrêt de deux ans, juste après la prise du pouvoir par Ceausescu, et perduré jusqu’à la fin de la dictature.
Ion Mihai Pacepa, oficier général roumain chef de la Securitate, s’est exilé aux Etats Unis sous la présidence de Jimmy Carter et a publié, en 1987, un livre où il mettait ce système au grand jour mais peu de gens l’ont cru. Ce système a fait l’objet d’un livre par l’historien Radu Ioanid.
L’auteur reprend tout cela dans le cadre de sa famille, précisant le contexte historique des moments. C’est un travail de recherche assez fouillé et documenté par des références bibliographiques. Ça se lit comme un roman mais il ne s’agit pas d’une fiction.
Un bon résumé de ce système est la page de Wikipédia : Exportation de juifs roumains de 1958 à 1989
Citations
Quatrième de couverture
Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire « immigrée » ou « réfugiée ». Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d’un pays dont nul n’était censé pouvoir s’échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été « exportés ». Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l’étranger.
Comment, en plein coeur de l’Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l’objet d’un tel trafic ? Les archives des services secrets roumains révèlent l’innommable : la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs.
Moi qui suis née en France, j’ai voulu retourner de l’autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d’une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d’un obscur passeur, les brûlures d’un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.