Vladimir Jankélévitch – L’imprescriptible
Ce livre contient deux textes : « Pardonner » (1971) et « Dans l’honneur et la dignité » (1948) – deux textes assez courts au sujet de l’après de la Shoah et de l’Occupation. Deux, disons, « coups de gueule ».
Dans le premier texte, Pardonner, Jankélévitch s’insurge contre l’idée de pardon. 25 ans après la fin de la guerre il constate que la plupart des bourreaux et ceux qui ont soutenu le hitlérisme n’ont jamais été inquiétés, pour les raisons les plus diverses. Au moment de la sortie de ce livre il y a une impunité déjà bien établie définitivement.
Certains criminels, comme Mengele ou Barbie vivaient tranquillement à l’étranger. La totalité des Allemands, même s’ils ne s’étaient pas directement impliqués dans les crimes, ils étaient parfaitement au courant de la politique de dé-judaïsation de l’Allemagne et de l’Europe : ils avaient écouté et acclamé les discours haineux de Hitler.
Et maintenant, au XXIème siècle ? Les vrais bourreaux de l’époque sont quasiment tous déjà morts. Mais il reste encore quelques descendants notables des nazis qui insistent dans l’innocence et les bonnes intentions de leurs parents : Edda Goering ou Gudrun Himmler. Sauf quelques exceptions, les familles de Reinhard Heidrich ou Rudof Höss. Gudrun Himmler a, pendant toute sa vie, œuvré pour la protection des bourreaux et a participé à la vie des groupuscules néo-nazis.
L’Allemagne fait beaucoup d’efforts pour informer le peuple allemand de ce qui a été cette époque sombre. On peut penser que maintenant, plusieurs décennies après la fin de la guerre, il pourra avoir non un pardon aux Allemands de l’époque mais au moins un apaisement avec les Allemands de nos temps.
Le deuxième texte, « Dans l’honneur et la dignité » a écrit en 1948, juste après la fin de la guerre et à un moment où l’épuration en France diminuait son activité. Jankélévitch dénonce une épuration plus que partielle n’atteignant pas ceux qui méritaient vraiment d’être inquiétés. Selon Jankélévitch, il s’agit d’une certaine bourgeoisie, des fonctionnaires, magistrats ou des intellectuels qui ont bien vécu pendant l’Occupation et dont beaucoup ont partagé la vie sociale de l’occupant. Certains étaient trop visibles pour ne pas être inquiétés : Robert Brasillach, par exemple. D’autres avaient de très bons avocats. Mais on voit bien dans les documentaires que la plupart des épurations, surtout celles publiques, concernaient des personnes des classes inférieures telles les femmes qui avaient couché avec des Allemands (comme si elles étaient les seules).
Finalement, c’est un livre intéressant qui montre ce qui était à des années proches de la fin de la guerre et qui suggère une réflexion sur où on en est actuellement.
On peut faire abstraction de la colère, justifiée de Jankélévitch. Il ne fait pas des efforts pour la cacher.
Citations
(p.103-104)
La France a manqué en 1944 sa plus grande chance de renouvellement et de rajeunissement. Dans ces journées uniques tout était possible, nous nous étions promis alors que tout serait neuf et vrai, que tout recommencerait depuis le début, comme si Vichy-la-Honte et ses polissons affreux n’avaient jamais existé, que ce gai matin de la Libération serait notre deuxième naissance, que le gazon pousserait sur la sépulture de l’ignoble passé. Or, nous n’avons pas commencé cette nouvelle vie que l’insurrection nationale nous promettait; pour la première fois peut-être dans notre histoire, la France miraculeusement rescapée n’a pas renié le régime qui avait fait du consentement à sa défaite, de la joie de sa défaite, de l’organisation et de l’exploitation politique de la défaite, de l’empressement à utiliser cette défaite pour liquider la République, sa raison d’être et son principal titre de gloire. Notre printemps est manqué. Mais peut-être tout cela valait-il mieux pour nous ? Peut-être cet enlisement de notre générosité dt de tout héroïsme créateur tient-il à une grande loi métaphysique qui, si elle permet par instants à l’homme d’atteindre le sommet de lui-même, lui interdit de s’y tenir? Bien des printemps se trament encore dans les sillons et dans les arbres; à nous de savoir les préparer à travers de nouvelles luttes et de nouvelles épreuves.
Quatrième de couverture
« Le pardon est mort dans les camps de la mort. »
Qui a bien pu écrire une telle phrase ? Un philosophe, un Juif, un Français, un moraliste ? Oui, mais surtout un survivant, un survivant mystérieusement sommé de protester sans relâche contre l’indifférence. Sous le titre L’Imprescriptible se trouvent en effet réunis deux textes : Pardonner ? et Dans l’honneur et la dignité, parus respectivement en 1971 et 1948, qui tentent de maintenir « jusqu’à la fin du monde » le deuil de toutes les victimes du nazisme, déportés ou résistants.
Jankélévitch, philosophe de l’occasion, n’a jamais cru bon d’attendre « l’occasion » d’exprimer sa colère et sa pitié. C’était toujours pour lui le moment de rappeler que la mémoire de l’horreur constitue une obligation morale.
Vladimir Jankélévitch (1903-1985)
Philosophe et musicologue, il est l’auteur d’une œuvre considérable, traduite dans le monde entier, notamment Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien.