Pascal Perrineau – Le goĂ»t de la politique
Pascal Perrineau : j’ai souvent entendu ce nom et mĂŞme Ă©coutĂ© quelques unes de ces interventions Ă la radio (je ne regarde quasiment jamais la tĂ©lĂ©), mais sans trop m’intĂ©resser Ă sa personne. Des interventions que j’ai, le plus souvent, trouvĂ© pertinentes. Puis je suis tombĂ© sur ce livre Ă la mĂ©diathèque, en regardant la quatrième et les quelques lignes de sa bio, je l’ai pris.
C’est un universitaire politologue, professeur Ă©mĂ©rite Ă Sciences Po. Dès son adolescence il s’est intĂ©ressĂ© Ă la politique. Au dĂ©part il Ă©tait affiliĂ© au Parti Socialiste et il a dĂ©missionnĂ© en 1981. Pas par dĂ©saccord avec les idĂ©es du parti mais, dĂ©jĂ un jeune chercheur, il a voulu prendre ses distances pour pouvoir exercer une libertĂ© de pensĂ©e non liĂ©e Ă un quelconque parti politique. Ça tombe très bien, Ă mon avis, puisque comme le dit Etienne Klein « Il n’y a pas de corrĂ©lation entre compĂ©tence et militantisme ». Le militantisme exacerbĂ© rend aveugle et hermĂ©tique Ă toute pensĂ©e diffĂ©rent de l’idĂ©ologie qui est la sienne, anĂ©antissant son esprit critique.
Dans sa dĂ©marche, la libertĂ© de penser est essentielle et le chercheur doit pouvoir faire abstraction de toutes ses convictions pour pouvoir analyser son objet de recherche. Toutes les possibilitĂ©s doivent ĂŞtre analysĂ©es et des conclusions doivent ĂŞtre tirĂ©es sans, encore une fois, tenir compte de ses convictions personnelles. Par ailleurs, cela s’applique Ă n’importe lequel domaine de la recherche.
L’ascension du Front National (devenu Rassemblement National) et des extrĂŞmes droites en gĂ©nĂ©ral prend une place importante dans ses travaux de recherche. Et qui dit ascension dit Ă©lections. En mĂŞme temps qu’il nous raconte son parcours professionnel depuis 1965, il raconte aussi l’Ă©volution politique en France collĂ©e Ă l’ascension du Rassemblement National. Et qui dit Ă©volution, dit Ă©lections et dit aussi situation de la Nation au moment des Ă©lections. Bref, c’est une autobiographie collĂ©e Ă l’Ă©volution politique en France. Ce regard nous apprend beaucoup au delĂ des caricatures des hommes politiques.
Presque Ă la fin de l’ouvrage on trouve un chapitre sur « La crise Ă Sciences Po » : la suite de changements, scandales et polĂ©miques, survenus après le dĂ©cès du directeur Richard Descoings. Un de ces problèmes est l’apparition d’un militantisme d’extrĂŞme gauche parmi les enseignants. Pascal Perrineau dĂ©nonce cette situation puisqu’elle ne permet plus Ă l’Ă©cole de vivre un pluralisme des idĂ©es, caractĂ©ristique majeure de l’Ă©cole. Cette partie (voir citation) a son importance puisqu’elle le livre a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© après le 7 octobre 2023 (incursion du Hamas en IsraĂ«l) et avant la suppression de son titre de Professeur Ă©mĂ©rite Ă Sciences Po et explique la suite de la carrière de Pascal Perrineau.
Au mois de mai il y a eu l’occupation de l’Ă©cole par des Ă©lèves militants de la cause pro-palestinienne. Pascal Perrineau, en tant que prĂ©sident de l’association des anciens Ă©lèves a soutenu la dĂ©cision de la direction de l’Ă©cole de faire intervenir la Police pour dissoudre le blocage de l’Ă©cole. MĂŞme si Pascal Perrineau ne soutient pas la cause, par son extrĂ©misme, sa motivation est qu’il a estimĂ© qu’il n’est pas normal que moins d’une centaine de personnes puissent bloquer l’accès Ă l’Ă©cole Ă 1300 Ă©tudiants, d’autant plus que les Ă©lèves sont la pour faire des Ă©tudes et que l’Ă©cole n’a aucun pouvoir de dĂ©cision sur la cause palestinienne et encore moins prendre position.
Ainsi, ayant pris sa retraite en 2018, il aurait droit de rester Professeur ÉmĂ©rite jusqu’en 2033, mais le Conseil scientifique a dĂ©cidĂ© de lui retirer ce titre, malgrĂ© l’avis favorable du directeur de son unitĂ© de recherche. Pascal Perrineau attribue la cause probable de son Ă©viction Ă son soutien Ă la direction lors de l’intervention des forces de l’ordre pour le dĂ©blocage de l’Ă©cole et Ă la prĂ©sence de militantisme dans le Conseil scientifique de l’Ă©cole. Comme il le dit « Sciences Po va très mal ». Et cette affaire n’est pas glorieuse pour l’institution.
Au delà de cette polémique concernant son titre de Professeur émérite, ce livre est intéressant et constitue une très bonne introduction à la pensée de ce politologue. Ce ne sera pas le dernier livre que je lis de cet auteur.
Citations
(p. 42)
En effet, l’Ă©lection est crĂ©atrice de lĂ©gitimitĂ© et elle ne peut se contenter de ratifier une lĂ©gitimitĂ© qui lui serait extĂ©rieure, antĂ©rieure et quelque part supĂ©rieure.
(p. 86)
La recherche, le goĂ»t du terrain, l’Ă©coute attentive des acteurs sociaux et politiques, la volontĂ© d’utiliser les concepts comme autant d’outils d’interprĂ©tation du rĂ©el, la mĂ©fiance vis-Ă -vis des systèmes thĂ©oriques qui apportent des rĂ©ponses avant que les questions ne soient posĂ©es, tout cela ne m’a plus quittĂ© jusqu’Ă aujourd’hui et a inspirĂ© tout mon travail.
(p. 108)
J’ai pris peu Ă peu le large de la politique active et, en 1981, dĂ©missionnai du Parti Socialiste, les rĂ©actions de nombre de militants happĂ©s par les structures du pouvoir Ă l’issue de la victoire de la gauche en mai-juin 1981 confirmant le bien-fondĂ© de mon choix. D’abord, la profusion de postes Ă pourvoir crĂ©a une bousculade chez les militants socialistes d’hier qui n’avait rien Ă envier aux comportements des plus cyniques et les plus brutaux qu’ils avaient dĂ©noncĂ©s lorsque » la droite Ă©tait au pouvoir. Lors de la campagne prĂ©sidentielle de 1974, une des affiches les plus collĂ©es par les militants socialistes avait Ă©tĂ© celle oĂą l’on dĂ©couvrait au-dessus du visage de François Mitterrand la maxime : « La seule idĂ©e de la droite : garder le pouvoir. Mon premier projet : vous le rendre ». Sept ans plus tard, le projet Ă©tait plutĂ´t al parti, les socialistes se comportaient comme tous les militants pressĂ©s d’occuper les sièges encore chauds des prĂ©cĂ©dents dĂ©tenteurs des pouvoirs. La course aux cabinets ministĂ©riels, aux postes de secrĂ©taires d’État et de ministres, aux postes dans les entreprises publiques et aux fonctions dirigeantes dans la presse Ă©tait sans foi ni loi.
(p. 144)
Un chercheur est quelqu’un qui se pose toujours des questions quand les autres ne s’en posent plus. Le rĂ©el est inĂ©puisable. Les rĂ©ponses lapidaires prolifèrent, la question du chercheur solitaire insiste. Le bon chercheur est peut-ĂŞtre celui qui n’a jamais oubliĂ© qu’il est entrĂ© dans la vie, vers 2, 3 ans avec l’âge des pourquoi ? Certes, mais on ne doit pas oublier la fĂ©roce boutade attribuĂ©e au gĂ©nĂ©ral de Gaule Ă propos du CNRS en 1965 : « Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche. ». J’espère tout en gardant une certaine modestie, faire partie des chercheurs qui trouvent de temps Ă autre, qui accèdent Ă des vĂ©ritĂ©s partielles et fragiles Ă partager.
(p. 213)
La crise Ă Sciences Po
Les institutions changent, mais la rigueur intellectuelle doit demeurer. La crise intellectuelle ne peut s’ajouter Ă la crise institutionnelle. Aussi fus-je surpris, en pleine crise de succession, par un faux pas de certains membres de notre institution. En effet fut publiĂ©, le 18 fĂ©vrier 2021, un Ă©trange communiquĂ© des « autoritĂ©s scientifiques » de Sciences Po intitulĂ© « L’islamo-gauchisme : une enquĂŞte regrettable ». Les auteurs exprimaient leur « sidĂ©ration face Ă l’annonce de la ministre de l’Enseignement supĂ©rieur, de la Recherche et de l’Innovation de vouloir diligenter une enquĂŞte sur les diffĂ©rents courants de l’islamo-gauchisme » On pourrait partager ou non cette « sidĂ©ration », justifiĂ©e en partie par le fait que cette enquĂŞte annoncĂ©e n’a jamais Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e, ou encore considĂ©rer que ce type d’enquĂŞte n’Ă©tait pas le moyen le plus opportun pour aborder une question pourtant très importante comme l’a montrĂ© la triste affaire de Sciences Po Grenoble oĂą des milieux gauchistes se sont dĂ©chaĂ®nĂ©s contre deux universitaires qui avaient commis le crime de lèse-majestĂ© d’exercer leur capacitĂ© critique vis-Ă -vis de certaines dĂ©rives de l’Islam.
En revanche, dĂ©crĂ©ter de manière lapidaire que « la notion de l’islamo-gauchisme n’a aucun contenu scientifique et ne dĂ©bouche que sur des polĂ©miques stĂ©riles » n’avait aucun sens. En effet, comment ignorer que Pierre-AndrĂ© Taguieff, directeur de recherche CNRS Ă Sciences Po pendant plusieurs dĂ©cennies, a forgĂ© l’expression « islamo-gauchisme’ au dĂ©but des annĂ©es 2000 afin de dĂ©signer et de circonscrire « une alliance militante de fait entre des milieux islamiste et des milieux d’extrĂŞme gauche (qu’il qualifie de « gauchistes »), au nom de la cause palestinienne, Ă©rigĂ©e en nouvelle grande cause rĂ©volutionnaire Ă vocation universelle ». Je sais que très souvent les collègues ne sont pas vraiment attentifs Ă ce qui se produit pourtant de mieux dans leur institution, mais il y avait lĂ d’avantage : l’ignorance et parfois la volontĂ© d’annuler les travaux scientifiques qui dĂ©rangent les penchants idĂ©ologiques de tel ou tel chercheur. Dans toute une sĂ©rie de travaux consacrĂ©s Ă la nouvelle « judĂ©ophobie », le directeur de recherche au CNRS a mis au jour patiemment une rĂ©alitĂ© socio-historique marquĂ©e par la convergence de milieux d’extrĂŞme gauche et de milieux islamistes qui font de l’accusation d' »islamophobie » une arme d’endoctrinement et de propagande. Pour ces milieux, l’islamophobie aurait historiquement remplacĂ© l’antisĂ©mitisme en Europe. Cette approche trouve un Ă©cho jusque dans certains cĂ©nacles universitaires qui refusent de considĂ©rer l’islamisation de la cause palestinienne et le fait que « ce sont des djihadistes et non pas des nĂ©onazis qui tuent des juifs en Europe ». L’attitude inqualifiable de La France insoumise et du Nouveau Parti anticapitaliste Ă la suite du massacre de juifs perpĂ©trĂ© aux confins de la bande de Gaza par le Hamas palestinien au dĂ©but du mois d’octobre 2023 montre Ă ceux qui ne voulaient pas voir la force de cet « islamo-gauchisme » et les dĂ©rives dont il est porteur.
Quatrième de couverture
Pascal Perrineau a toujours eu le goût de la politique. Voici son récit personnel de la Ve République. Il nous raconte les scènes marquantes du gaullisme, le vent soixante-huitard dans les lycées, l’effervescence des campagnes présidentielles sur les bancs de Sciences Po, les coulisses du PS mitterrandien et ses désillusions sur le socialisme dès 1981.
Pascal Perrineau trouve alors sa vocation : observer, de très près, la vie politique française.
Élection après élection, le chercheur regarde attentivement la carte des scrutins, prête attention aux signaux faibles qui préfigurent l’émergence d’une nouvelle ligne de fracture politique. Le clivage gauche-droite s’estompe, le paysage partisan se réorganise autour de deux pôles, l’un ouvert sur le monde, l’autre figé sur l’idée de nation. Pascal Perrineau livre ses analyses sur les facteurs économiques, géographiques et culturels à l’origine de cette reconfiguration politique.
Face Ă la dĂ©saffection croissante des Français pour la vie politique, l’auteur propose des pistes concrètes pour l’avenir de notre dĂ©mocratie.
Pascal Perrineau est politologue, professeur Ă©mĂ©rite des UniversitĂ©s Ă Sciences Po oĂą il a dirigĂ© le Centre de recherches politiques (Cevipof) de 1992 Ă 2013. Ses recherches partent sur les clivages politiques et l’analyse de l’extrĂŞme droite en France et en Europe. Il a rempli les fonctions de garant du Grant DĂ©bat national de 2019.