Jacques Ellul, « L’idéologie marxiste chrétienne : que fait-on de l’Évangile »

De leur incompatibilité…

Jacques Ellul commence par sa définition de idéologie :

Une idéologie est la dégradation sentimentale et vulgarisée d’une doctrine politique ou d’une conception globale du monde; elle comporte donc un mélange d’éléments intellectuels peu cohérents et de passions, se rapportant en tout cas à l’actualité. L’univers politique moderne est encombré d’idéologies, qui rendent l’exercice de la politique à la fois plus facile (pour manipuler la masse par la propagande) et plus difficile (on ne peut décider aucune mesure sans  tenir compte de l’aspect idéologique qu’elle prendra).

Jacques Ellul s’interroge sur les raisons qui font que des chrétiens adoptent l’idéologie marxiste et la cohérence entre le christianisme et le marxisme.

Il mentionne quatre raisons pour cette adoption :

  • l’injustice sociale et les inégalités;
  • la situation des pauvres. L’église n’a pas assez fait pour sortir les pauvres de la situation d’opprimés;
  • le désaccord entre la parole (amour à son prochain) et les actes;
  • le « matérialisme ». Le christianisme est devenu un spiritualisme désincarné, des sentiments et des intentions, , une contemplation stérile qui ne se traduit jamais en actes.

Pour Jacques Ellul, les chrétiens marxistes, ou devenus marxistes, sont surtout les intellectuels, et il cite une série de noms : H. Lefebvre, E. Morin, Desanti, Castoriadis, DAix, Lefort, Glucksman, … Et il relève le contraste entre l’intérêt de ces intellectuels et celui des prolétaires : pour les premiers, il s’agit d’une démarche purement intellectuelle, idéologique, tandis que pour les derniers, c’est surtout leur vie, leurs salaires, leurs emplois, …

Jacques Ellul fait état d’un foisonnement de livres, thèses, manifestes, … concernant christianisme et marxisme ou plutôt les chrétiens et le socialisme.

Après cette introduction, Jacques Ellul « décortique » plusieurs écrits en particulier les livres « Lecture matérialiste de l’Évangile » (par Fernando Belo) et « Les idées justes ne tombent pas du ciel. Éléments de théologie inductive » (par Georges Casalis).
C’est très intéressant mais, pour quelqu’un comme moi qui a des connaissances limitées en théologie, c’est un peu long. Mais on peut comprendre la démarche de Jacques Ellul. Il s’agit de démontrer les erreurs et approximations de ces chrétiens marxistes. Jacques Ellul montre que, grosso modo, leurs discours partent soit d’une lecture de l’Évangile ne laissant que les parties intéressantes et en supprimant ce qui ne convient pas, soit en essayant d’interpréter l’Évangile d’une façon convenable au marxisme. Le texte est obligatoirement long puisque Jacques Ellul est obligé de montrer les erreurs parfois grossiers. A certains points de la lecture, Jacques Ellul ne cache pas que les auteurs de ces textes ne maîtrisent pas leur sujet.

En tout état de cause, il semble impossible d’être à la fois marxiste et chrétien, lorsqu’on sait ce que Karl Marx pensait de la religion : « Opium du peuple » 1  2

« La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. » 3

Quatrième de couverture

Pour Jacques Ellul, le christianisme est, par son origine et sa conception même de la Révélation, une anti-idéologie. Mais, et l’histoire n’en fournit que trop d’attestations, on a vite fait de le transformer en idéologie ; il suffit de laisser la doctrine, la foi et la pratique exigeante de la liberté se dégrader en discours de compromis et de ralliement pour des groupes entiers. Sitôt qu’on lit la Bible pour y trouver arguments et justifications pour sa propre conduite ou pour celle de son groupe, on est en pleine idéologie chrétienne. Mais est-ce encore écouter la Parole de Dieu ? Examinées sous cet angle, les positions des chrétiens marxistes ne seraient-elles pas l’idéologie chrétienne de notre époque ?

Marxisme et foi en Dieu sont-ils compatibles ? Un courant de pensée se développe même qui cherche à légitimer en théologie une adhésion au marxisme. On élabore une nouvelle lecture de l’Évangile, tout heureux de la proclamer matérialiste. Tout, jusqu’à la théologie elle-même, serait à repenser en fonction du marxisme et de ce qu’il fait découvrir : la lutte des classes. Paradoxe, ce courant s’affirme chez les chrétiens au moment où le marxisme passe, en son propre sein, par une crise d’identité et de crédibilité.

  1. Karl Marx – Religion (Wikipedia) []
  2. Karl Marx – La religion est l’Opium du Peuple (Le Point) []
  3. Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel. []