Raymond Aron, « L’opium des intellectuels »

Ce serait plutôt, « Marxisme, l’opium des intellectuels »

Le titre du livre est, bien évidemment, une boutade contre la phrase célèbre de Karl Marx  : « la religion est l’opium du peuple« .

Dans les deux premières parties du livre, Raymond Aron s’attache à démontrer les erreurs qu’il voit dans les conceptions politiques des intellectuels : Les mythes (gauche, révolution et prolétariat) et de leur besoin de maîtriser l’histoire. Bien entendu, ce sont les intellectuels de gauche. Y-a-t’il des intellectuels de droite ???

Ce sont surtout les intellectuels français de gauche : Jean-Paul Sartre de Merleau-Ponty sont des noms qui reviennent souvent. D’autres noms reviennent plus rarement (Althusser, par exemple). Quelques références, avec humour, aux « intellectuels de Saint-Germain des Près », en référence au quartier fréquenté par Sartre et ses égaux.

Dans la dernière partie du livre, il est question non plus des idées mais des intellectuels eux mêmes. Très intéressante la comparaison entre les intellectuels français, américains, anglais, asiatiques. Même s’ils tous de tendance gauchiste, plus ou moins prononcées, ce sont des approches et idées souvent différentes – différences de contexte et de culture.

Pendant toute la lecture, on ne peut pas s’empêcher de penser à la différence d’époque. Ce livre a été écrit en 1954. Stalin venait de mourir, Fidel Castro n’avait pas encore pris le pouvoir en Cuba, le maccarthysme était plus que jamais en vigueur aus États Unis, pas encore de mai 68, pas encore 10 ans de la fin de la guerre, le début de la guerre froide, …

Malgré cela, la lecture reste intéressante, d’une part pour l’histoire politique. Et d’autre part, pour constater que les intellectuels de gauche ont toujours existé. J’ai l’impression que les intellectuels de nos jours sont bien plus agressifs et, probablement, avec une profondeur de pensée plus faible.

Quelques phrases :

Page 108 – « Les dirigeants de la gauche se situent au milieu de la hiérarchie, ils mobilisent ceux qui sont en bas pour chasser ceux qui sont en haut, ils sont des demi-privilégiés qui représentent les non-privilégiés jusqu’à la victoire qui en fera des privilégiés. »

Page 128 – Marx préconisait le Marxisme… le futur, sans l’expérience – que nous avons maintenant de ce qui a été le passé du Marxisme. Définir aujourd’hui l’Union soviétique par la volonté marxiste « d’une solution radicale au problème de la coexistence » équivaut à définir la colonisation par la volonté d’évangéliser les païens.

Page 248 : L’alternative des libertés politiques et du progrès économique, do Parlement ou des barrages, de la gauche libérale et de la gauche socialiste est une fausse alternative en Occident. Elle peut paraître inéluctable en certaines circonstances. La promotion d’un pays non capitaliste, au premier rang des grandes puissances, a consacré par le succès la formule de « l’occidentalisation sans la liberté » ou encore de « l’occidentalisation contre l’Occident ».

Et la phrase de fermeture du livre :

« Si la tolérance naît du doute, qu’on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes du salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos voeux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme. »

Quatrième de couverture

Introduit par Nicolas Baverez qui présente le contexte dans lequel il fut écrit et publié, ce livre est devenu un classique. Raymond Aron y prend vivement à partie les intellectuels compagnons de route du parti communiste, notamment Sartre et le groupe des Temps modernes, et analyse les raisons de leur aveuglement. Il montre comment la volonté de croire en un avenir enchanté peut conduire à refuser de voir la réalité d’un système qui piétine la liberté et la dignité humaines.

Ce message peut continuer à nourrir une éthique intellectuelle telle que la définit les dernières lignes du livre : « Si la tolérance naît du doute, qu’on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes de salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos vœux la venue des sceptiques s’ils doivent éteindre le fanatisme. »