Julia de Funès – Le siècle des égarés

Le sous titre – “Comment être soi sans tomber dans le piège identitaire” – mérite mention. Ce n’est pas du développement personnel même s’il le suggère.

C’est un ouvrage court, dense et très intéressant. L’autrice parle de la mouvance identitaire, les contradictions, les pièges. Au contraire de nombre d’autres ouvrages, très intéressants, qui parlent de ça, elle propose une sortie.

Il n’est pas question, pour l’autrice, de nier l’existence des discriminations envers les minorités et de les combattre mais de ne pas tomber dans le piège des militantismes que l’on voit. En effet, on peut dire que l’exagération des arguments peut nuire la cause.

Le premier piège de l’identitarisme est l’éloignement des Lumières qui défend l’égalité entre les personnes. A partir du moment où on se présente et on souhaite être vu par son identité, avec la fierté d’être ceci ou cela, on marque une différence par rapport aux autres et on exige une traitement différencié, donc loin de l’idéal d’Égalité.

Puis les démarches identitaires : qui dit militantisme dit combat et qui dit combat dit démarche belliqueuse. Il y en a qui ne savent pas vivre dans un monde sans conflit. Mais bon, après, il y a une pauvreté dans les arguments, souvent de mauvaise foi, conflictuel, intolérance, idées arrêtées avec aucune possibilité de dialogue, méconnaissance historique ou interprétation partielle ou complètement erronée, etc.

Ensuite, une partie où l’autrice propose un regard philosophique de ce qui serait l’essence de l’Identité (corps, culture, look, mémoire, communauté, …) et démontre qu’il s’agit d’un concept flou, impossible de le définir avec exactitude. Imaginons juste le nombre faramineux de genres (préférences sexuelles) ou de degrés de métissage ou de cultures avec des intersections entre les différentes dimensions.

Puis, après avoir présenté les problèmes liés au identitarisme, la partie probablement la plus intéressante : s’en sortir de l’identitarisme et être soi-même. Pour faire court, très court mais bien imagé, au lieu de paraître et mettre en avant son côté identitaire, souvent victime minoritaire, militant, combattant, mettre en avant ce qu’on est vraiment. Derrière un, par exemple, Noir voulant se présenter comme tel, il peut se cacher quelqu’un très intéressant, aussi intéressant qu’un Blanc, un Indigène, un égal et méritant comme tout autre être humain.

Tout ce qui concerne une forme de militantisme est toujours conflictuel et les critiques négatives le confirment. Un regard sur ces critiques négatives de ce livre confirme le contenu de la première partie. Je lis : “des propositions non étayées, des sophismes, …”, mais on ne donne pas des exemples. Ou encore : “Un livre facile à lire, mais comme les chips, il ne nourrit pas” (le renard et les raisins). Puis une citation de Gilles Deleuze : ça fait chic. “Essaye la pensée philosophique sans y parvenir” : argument de ceux qui n’ont pas d’argument. “Parti pris” – alors et les autres ??? Comme tout philosophe, sociologue, … elle a une opinion après réflexion, la présente et la justifie.

Citations

(p. 29)

Une reconstruction radicale

Si les idéologies identitaires se réclament de la déconstruction, force est de constater qu’elles ne mènent en réalité qu’à une reconstruction identitaire édifiante. Ainsi s’implantent à l’université – à la place des disciplines à traditionnelles considérées comme des formes cachées de domination à déconstruire – des studies, nouveaux découpages académiques centrés sur des sujets d’étude liés à l’identité sexuelle ou raciale.

La théorie du genre, qui entend abolir les distinctions du masculin et du féminin – pures constructions sociales arbitraires qu’il serait bien de déconstruire pour permettre à chacun de définir sa propre identité sous le signe de l’autodétermination – ne fait que créer des nouvelles identités. Puisque ce n’est plus le sexe qui détermine l’identité mais la volonté, les identités ne sont pas réduites à deux possibilités biologiques (masculin, féminin), mais deviennent multiples et toutes possibles. De fait, de nouvelles divisions genrées sont sans cesse ajoutées au sigle “LGBTQI+”, afin que chaque identité soit équitablement représentée. Nous voyons bien que la déconstruction des identités sexuées traditionnelles est une reconstruction de nouvelles identités toujours plus nombreuses car toujours plus spécifiques. Parmi ces nouvelles identités, et à force d’hyper-spécification, certaines en deviennent inconséquentes. Pour les féministes woke les plus vindicatives, les homosexuelles nées femmes sont privilégiées par rapport aux autres femmes (qui peuvent avoir des pénis), puisqu’un homme se sentant femme est femme pour l’idéologie identitaire. Les sexuées femmes sont privilégiées par rapport aux femmes genrées femmes. Conséquence : les femmes avantagées devraient faire des efforts pour s’amouracher de femmes genrées mais pas nécessairement biologiquement femmes. De telle sorte que la situation devient pour le moins paradoxale puisque les homosexuelles devraient accepter de coucher avec des femmes ayant un pénis, autrement dit avec des hommes (qui se sentent femmes) ! Ne pas accepter ce raisonnement revient à faire preuve de préférences sexuelles discriminatoires selon les féministes les plus différentialistes. Refuser un tel raisonnement fait basculer les femmes dans une classification identitaire d’un nouveau genre (c’est le cas de le dire) : trans-exclusionary radical-feminist (terf), décrivant une énième identité, celle des femmes homosexuelles ne désirant pas de relations avec des femmes biologiquement hommes !

(p. 89)

Le sentiment de soi : un sentiment plus qu’une identité.

Savoir et sentir d’où l’on vient et où l’on va est une nécessité vitale. Aucun sujet ne peut s’affranchir des catégories structurantes, nécessaires à la construction de soi. Mais celles-ci ne sont pas suffisantes, et souvent aliénantes. Nous en avons trahi les limites idéologiques, conceptuelles et individuelles. Il ne s’agit pas dans ce livre de nier l’importance du sentiment de soi mais de montrer que l’identité n’y répond pas. Le sentiment de soi ne consiste pas à se réfugier dans une identité. C’est même tout l’inverse. Le sentiment de soi est une chose, l’identité en est une autre. L’identité fige, fixe, stabilise, tandis qu’être à soi épouse le mouvement de la vie. L’identité est une construction sociale, intellectuelle ou culturelle, le sentiment de soi est de l’ordre du ressenti, de la sensation personnelle et intime. L’identité subsume l’être l’être sous une catégorie, le sentiment de soi subordonne la catégorie au moi. Dans l’identité, la catégorie peut nous englober jusqu’à faire disparaître notre singularité. Le sentiment de soi ne nous perd jamais, car aucune case ne vient noyer le “moi”. L’identité chosifie et homogénéise, le sentiment de soi ré réhumanise et distingue. Si l’identité nous dépossède de nous-mêmes et nous perd dans un ensemble, privilégier le sentiment de soi à la fixation identitaire évite de nous égarer. Comment cultiver le sentiment de soi au détriment de l’ancrage identitaire ?

Quatrième de couverture

Qui suis-je vraiment ? À quel point suis-je le résultat d’une culture, d’une descendance, d’une couleur de peau ou d’un genre ? Mes choix de vie sont-ils issus de ma volonté propre ou n’obéissent-ils qu’à des conventions sociales, familiales ?

L’identité est devenue la valeur cardinale de notre modernité. Philosophiquement, l’identité est un concept dont la validité reste incertaine. Politiquement, les dogmatismes identitaires s’exacerbent au point de déstabiliser l’universalisme républicain. Individuellement, l’identité nous fige dans des postures qui nous éloignent de nous-mêmes.

En faisant de l’identité une priorité, notre siècle s’égare. Si l’identité est à questionner, quelque chose de cette notion semble toutefois ne pas pouvoir se laisser abandonner : le désir d’être soi-même. Alors comment parvenir au sentiment de soi sans tomber dans le piège identitaire ? Tel est l’enjeu de ce livre.