Alex Mahoudeau – La panique woke

Alex Mahoudeau est surtout connu par son activité militante dans les réseaux sociaux, où il se présente avec le pseudonyme Pandov Strochnis.

Il utilise, dans ce livre, la même méthode des théories complotistes. Il est assez facile de le démontrer.

Je cite un des paragraphes de l’introduction :

Dans ce discours, le “woke” apparaît comme un agglomérat de tout ce qui n’irait pas, non seulement à gauche mais aussi dans de grandes entreprises ou des institutions publiques, sur les réseaux sociaux, etc. Une série d’anecdotes plus ou moins exagérées ou inventées vient nourrir le sentiment d’une menace tangible et importante : des enseignants chahutés sur des campus universitaires ou des contrats d’édition rompus, à cause des opinions ou abus commis ou soupçonnés d’avoir été commis par leurs auteurs, la multiplication en entreprise de règlements ou séminaires de formation touchant à des questions comme le sexisme ou le racisme, le changement d’une mascotte de marque connue ou l’intégration, dans un plan d’investissement infrastructurel, de considérations touchant à la justice sociale, sont autant de faites traités comme les symboles d’un développement de cette menace.

Ce qu’il y a à retenir ici est surtout la phrase : “Une série d’anecdotes plus ou moins exagérées ou inventées…”, qu’il convient d’analyser.

On utilise le mot “anecdotes“, en français, pour se référer à des faits mineurs, sans importance. Or ce n’est pas le cas. D’une part on peut mentionner des faits graves tels l’annulation d’une conférence de Mme Agacinski ou ce qui s’est passé, en mars 2021, à Sciences Po Grenoble où le Procureur de la République a dû intervenir pour assurer la sécurité de deux enseignants. L’utilisation du mot “anecdote” relève juste de l’opinion de Mahoudeau et pas de la vérité. En tout cas, à partir du moment où des tels faits deviennent répétitifs et toujours avec des incivilités, ils deviennent un sujet de société. L’expression “plus ou moins exagérées”, c’est, là encore, juste son opinion personnelle. Et le mot “inventées”… il n’y a rien d’inventé.

Donc, son hypothèse de départ est fausse.

Puis, à la page 21, on trouve la définition de “panique morale”, sur quoi il s’appuie pour construire sa théorie de “panique woke” :

« Théorisé par plusieurs sociologues, le terme de « panique moral », désigne la façon dont émergent notamment via les médias de masse, des épisodes d’inquiétude collective détachée de la réalité de la menace en question, accompagnés de la diabolisation d’un groupe identifié comme hostile. »

Retenons cette phrase : “épisodes d’inquiétude collective détachée de la réalité de la menace en question”. Comme on a déjà montré, cette condition n’est pas satisfaite puisque ce n’est pas du tout “détachée de la réalité”. Donc, on ne peut pas parler de “panique morale”.

C’est à partir de ces deux points qu’il échafaude une théorie en essayant de la rendre crédible. C’est exactement comme ça que sont créées toutes les théories complotistes que l’on voit fleurir : on part de faits réels et on le donne des interprétations personnelles et on rajoute des hypothèses permettant de créer une théorie crédible en apparence.

Une erreur grotesque de méthodologie scientifique pour quelqu’un qui arbore un doctorat en sociologie.

Bien plus intéressante est la position de Michel Wieviorka, exprimée dans son rapport contredisant la Ministre de la Recherche (mentionné par Mahoudeau), que je résume ici :

  • Il indique que la recherche sur ces thèmes est pertinente, elle existe et doit continuer et même augmenter.
  • même dans la recherche, domaine où doit régner l’objectivité et la liberté d’expression, même les chercheurs peuvent être très polarisés avec des interlocuteurs « de plus en plus difficile de communiquer, tant il faut ou bien se plier ici à des catégories faisant système et dessinant un espace plutôt refermé lui-même, ou bien renoncer à échanger ». Il critique certaines positions universalistes excessivement abstraites ignorant les réalités sociales et culturelles.
  • il défend le domaine de la recherche comme un domaine de liberté de réflexion et d’expression qui n’a pas à être réglementé par l’État.
  • il alerte sur la confusion qui peut exister, et qui existe, entre “débat public” et “débat scientifique” sous peine de perdre l’objectivité de la recherche. Même s’il considère qu’il s’agit d’une minorité, ce sont souvent des militants qui ont une plus grande visibilité dans l’espace public et ce sont, donc, des influenceurs.

Alex Mahoudeau fait partie des interlocuteurs dont le dialogue est difficile, puisqu’il fait du militantisme dans les réseaux sociaux avec un pseudonyme, s’attaquant et ridiculisant la personne de certains interlocuteurs “réactionnaires”. Gerald Bronner et Pierre-André Taguieff font partie de ses cibles privilégiés. Or, il est facile de critiquer les gens dans leur dos. Il serait plus intéressant de voir un débat face à face. Le bagage scientifique de ces deux largement est largement supérieure à la maigre production scientifique de Mahoudeau et je ne doute pas qu’il se ferait écrabouiller dans un tel débat.

La raison de “la diabolisation d’un groupe identifié comme hostile” (ce sont ses termes) n’est pas l’intérêt du sujet mais le comportement de plusieurs des membres du groupe : une arrogance non justifiée, des actes d’incivilité ou agressifs ou des inepties. Bref, comme le dit bien Michel Wieviorka, la difficulté d’avoir un dialogue citoyen avec le groupe. Par sa démarche dans les réseaux sociaux, Alex Mahoudeau fait partie des interlocuteurs difficiles. Et ça ne rend pas service à leur cause.

Citations

Quatrième de couverture

La mécanique d’une chasse aux sorcières

Encore inconnu il y a peu en France, le terme de « woke » a récemment envahi les réseaux sociaux et les journaux. Né des luttes antiracistes des Afro-Américains dans les années 1950, il revêt alors un sens positif : celui d’être « éveillé », conscient politiquement. Mais il est aujourd’hui utilisé péjorativement pour attaquer toute forme d’engagement contre les discriminations. Pour ses détracteurs, la prétendue « idéologie woke » serait un nouvel avatar du « politiquement correct » ou de la « cancel culture » et infiltrerait les centres de pouvoir, des médias aux grandes entreprises, encourageant une déconstruction du monde par la bouche d’une génération radicalisée. Ainsi va la « panique woke ». Et si cette panique cachait simplement une forme, classique mais violente, de réaction ? C’est cette offensive réactionnaire et sa mécanique idéologique qui sont ici décortiquées par Alex Mahoudeau, mieux connu sur les réseaux sociaux à travers le pseudonyme de « Pandov Strochnis ».